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Une « escroquerie » esthétique de génie.

 

Par Philippe Godin / Libération

 

Gérald Foltête procède à l’une des plus belle « mise en boite » que l’art n’ait jamais réalisé depuis Duchamp, en ajoutant un ultime chapitre au ready-made. Un coup de génie fait sur le dos des génies !

 

L’œuvre de Gérald Foltete est absolument unique. Cet artiste, au nom prédestiné, s’est entêté à mettre en boite littéralement certains des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale et de la musique, en les recopiant entièrement.

 

Que ce soient Les joueurs d’échecs de Stephan Zweig, Les Frères Karamazov de Dostoïevski, Le Clavier Bien tempéré de Bach, en passant même par le vagin… l’Origine du monde de Courbet, toutes ces œuvres sont systématiquement retranscrites de manière appliquée et studieuse. Un travail de copiste sans pareil !

 

D’autant plus aberrant qu’il ne semble servir à rien. Apparemment…

 

Car, c’est bien là le véritable génie de cette création aberrante, littérale et de prime abord idiote que de mettre à l’épreuve le concept de Dépense bataillien.

Gérald Foltete nous offre, en effet, une pure et « incommensurable mesure » du temps qui outrepasse l’entendement et l’imagination.

De fait la plupart de ceux qui se sont risqués dans la lecture de Dostoïevski ou l’écoute de Bach auront la surprise de voir ce qui n’était à leurs yeux ou leurs oreilles que lisible ou audible. Avec le travail de ce créateur singulier (qui n’est pas sans rappeler la ténacité et la déraison de certains outsiders), les chefs-d’œuvre que l’on croyait inaccessibles à un seul regard, se dévoilent sous nos propres yeux avec une indécence quasi risible!

Bien fou serait le spectateur qui tenterait, d’ailleurs, de vérifier la fidélité de la copie avec son modèle ! Surtout dans le cas de la peinture de Courbet… D’autant plus que cette « origine » est livrée dans le langage crypté du numérique.

On peut éventuellement saisir quelques phrases - celles le plus communément qui terminent ou débutent l’œuvre - mais on est vite pris de vertige dès qu’on se plonge dans chacun des tableaux ! Plus on s’approche de l’œuvre manuscrite, plus le tracé des mots semble net, scolaire, précis sans nul souci de fioriture ou le moindre signe de fatigue. Un athlétisme calligraphique d’une rare précision qui paraîtra d’un ennui monumental au spectateur friand de trahison ou d’agréments baroques.

L’attrait esthétique de l’œuvre de Gérald Foltete est ailleurs. Elle nous donne à voir un peu de ce temps (perdu) qui passe aussi bien dans la demi-conscience de la lecture ou durant la rêverie musicale.

On ne peut qu’être sensible à ce geste insensé dans la mesure où il nous offre une autre dimension de ces œuvres que l’on pensait si bien connaître.

Dans son essai l’Imaginaire, Sartre pose la question de savoir où se trouve la 7ème symphonie de Beethoven ? Est-elle plus présente dans l’interprétation qu’en donna Karajan en 1947 au public berlinois ; ou bien dans celle qui fut gravée sur disque en 1962 dans la prestigieuse collection de la Deutsche Grammophon; ou encore dans la partition célèbre de 1813 du musicien déjà sourd ?

Avec ces copies uniques Gérald Foltete nous offre un redoutable problème métaphysique ! Peut-on voir d’un coup Les Frères Karamazov ou le Clavier Bien Tempéré de Bach ?

Évidement la question n’est pas là !

Peut-être que l’artiste procède à l’une des plus belle « mise en boite » que l’art moderne et contemporain n’ait jamais réalisée depuis Duchamp !

 

Car Gérald Foltete en réalisant ses œuvres ajoute un ultime chapitre au ready-made duchampien, avec une prime esthétique supplémentaire.

À la différence de la plupart des ready-made qui ont peuplé l’histoire du 20ème siècle, l’artiste Bisontin nous propose, en effet, des œuvres d’une poésie visuelle remarquable.

Il suffit, une fois l’effet de curiosité passé à vouloir lire l’œuvre afin d’en vérifier la véracité, de se reculer ou de se déplacer dans les méandres des écritures pour se délecter en tous sens du tableau. Le plaisir esthétique est alors impressionnant ! Les copies deviennent de véritables tableaux aux graphisme élégants, le tout agrémenté de couleurs et d’encres choisies.

Une invitation sans doute à se déprendre de la fidélité en art pour mieux goûter les joies de la puissance du faux.

Un remarquable coup de génie, et une magnifique « escroquerie » faite sur le dos des génies !

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